Réactions au numéro d'Artpress 2 consacré à la céramique

Que pensez vous de ce numéro d'Artpresse 2 consacré à la céramique ?

 

Artpresse est une revue de réference du monde de l'art. Artpresse a quarante ans, puisque le premier numéro est paru fin 1973. Artpresse 2 est une revue trimestrielle thématique qui parait depuis 2006. Artpresse 2 fait le point de sujets majeurs de la vie artistique, comme "la Scène française", "Berlin" ou "l'art brut" en y consacrant des analyses  historiques et critiques. Depuis sa création par Catherine Millet, qui en est toujours la directrice de la rédaction, Artpresse  défend une conception  indépendante et ouverte de l'art contemporain. la revue est publiée en français et en anglais et s'intéresse aux différentes formes d'art. Artpresse tente de concilier l'analyse des avant garde et l'histoire de l'art, en gardant une ligne médiane entre le journalisme d'actualité et les théories. Catherine Millet et Artpresse occupent une place centrale de la scène artistique française.

Le numéro 31 d'Artpresse 2 consacré à la céramique est une première pour cette revue. Il a été coordonné par Anaël Pigeat. Ce numéro de 98 pages et 17 articles est organisé en trois parties, d'Hier à aujourd'hui, Itinéraires, Territoires. Il tente d'analyser la place nouvelleoccupée par la céramique dans la création contemporaine. Il comporte quelques articles de mise en perspective historique et théorique.

 

Dans la deuxième partie, il décrit quelques parcours individuels, Elmar Trenkwalder, qui fait la couverture, Johan Creten, Michel Gouéry, Anne Wenzel, Elsa Sahal, Savério Lucariello. Dans la partie Territoires, deux lieux français sont choisis comme exemple, la manufacture de Sèvres et la Borne.

L'angle privilégié est celui des artistes travaillant la céramique, visibles dans les galeries d'art contemporain. Cette option écarte, de fait, les créateurs issus de la tradition céramique. De ce point de vue, on peut se demander si la revue n'est pas restée prisionnière des cloisonnements habituels et des apriori qui distinguent artistes et potiers sans espoir de dépasser les frontières.

Ce numéro est, néanmoins, un événement majeur pour les amateurs de céramique.  Le Club doit donner une suite à cette initiative.  D'ores et déjà, pour lancer les débats, nous proposons de publier les commentaires et réactions au dossier d'Artpresse. Envoyez nous vos textes. 

Bernard Bachelier

La réaction de Jean-François Juilliard

 

La belle céramique ?

Selon un récent numéro d’Art Press 2, le renouveau de la céramique contemporaine tiendrait dans l’idée bénéfique d’extravagance (au moins pour la production de Sèvres) et déboucherait sur une « céramique d’au-delà de la céramique » qui laisserait derrière elle « la belle céramique ».

Quelle serait donc cette nouvelle céramique ?

Grâce à son extrême malléabilité, l’argile serait apparue à certains plasticiens contemporains comme le médium le plus apte à traduire leur sensibilité la plus immédiate, la plus authentique, la plus personnelle, c'est-à-dire, en vérité, la moins tributaire de toute référence objective, du même coup, comment ne pas le voir, vouée à l’arbitraire, à la nouveauté perpétuelle, à l’idée pure ou au pur fantasme qui tournent vite, par le refus de tout modèle, à la déformation des formes habituelles, au grotesque et au dérisoire.

Cette malléabilité du matériau ouvre la porte à la sculpture informelle, pour ne pas dire informe, la plus facile. Mais laissons à son destin aventureux la sculpture en céramique qui relève avant tout de la sculpture, même si c’est sur elle que se focalise l’attention de la revue. Laissons de côté le design qui relève plutôt de la technique que de l’art. Laissons de côté enfin l’art conceptuel plus intellectuel qu’artistique. Reste la «belle céramique» totalement évacuée par la revue, qui relève de l’art immémorial du potier, l’art du contenant et du mural qui ne cesse de se renouveler dans l’ombre, sans éclat ni rupture, fort de sa seule maîtrise. Liée à une très ancienne tradition, c'est-à-dire à une réflexion continue et commune à de nombreuses cultures différentes, dont la confrontation a nourri son évolution et le projet de chacun de ses artistes, cette belle céramique est le produit d’une pensée réfléchie, infiniment plus riche que n’importe quelle « idée » de passage, nouvelle, éphémère, volatile !

 Cette belle céramique est loin d’être derrière nous, même si elle est passablement occultée par l’exhibitionnisme contemporain et les tentations de la facilité. La vraie problématique de la céramique actuelle (comme plus généralement de l’art contemporain) ne devrait pas être avant tout le changement, la nouveauté arbitraire, l’effet de choc comme dit Valéry, mais l’approfondissement et le développement de toutes les possibilités du matériau et du métier, la variation continuellement amplificatrice de leurs meilleures composantes. Comme le dit si bien Roger Caillois : « ce n’est rien d’étonner. Il faut que l’étonnement dure, c’est alors qu’il est fécond et se change en admiration ». Ce qui condamne le culte béat de la nouveauté, même si le commerce, maintenant totalement tributaire des effets de la mode et de la publicité, pense tirer un plus grand profit de l’objet de curiosité que de la beauté véritable. Il est commode de contester l’idée de beauté quand celle-ci devient trop longue et trop difficile à produire.

Lequel de nos meilleurs céramistes actuels ne se réfère encore constamment à la vieille Chine ou au Japon, à l’Afrique ou à la culture arabo-persane, à Bernard Palissy, à Chaplet ou à Decoeur, tout en y ajoutant de manière continue l’apport de son propre talent ?

Dans «  Images du Labyrinthe » (Gallimard 2008, p.119), Roger Caillois écrit ceci : « une partie de l’art prolonge sans doute une tradition et même une profession ». (C’est particulièrement vrai de la céramique.) Mais elle n’intéresse plus qu’à peine le public averti, les amateurs, les revues spécialisées. C’est autre chose qui est appelée maintenant du nom d’art et qui semble réclamer quelque absolu, sinon témoigner d’une irrémédiable vacuité. Terrible condamnation, mais néanmoins, c’est constater que par derrière tous les faux nez de l’art contemporain, il subsiste encore, sans aucun doute un peu d’art véritable ! La belle céramique n’est pas derrière nous, elle est encore et toujours là, derrière la céramique d’au-delà de la céramique dont elle attend seulement qu’elle passe.

Jean-François Juilliard, 2 février 2014

 

Le texte d'Andoche Praudel

Ce texte a été publié dans la Chronique 50 Nicole  Esterolle

La question reste entière : L’idéologie une fois dénoncée, par quoi la remplacer ? Comment établir une Pratique critique de la céramique ? Sur quoi débouche une telle praxis ?

 

Décembre 2013, la revue  Artpress intitule un numéro spécial « La céramique au-delà de la céramique ». On pourrait croire qu’il s’agit d’une réhabilitation de l’art céramique comme art à part entière et la référence initiale à Fontana est en effet bienvenue... Mais, tout de suite après, un bonhomme vert tient toute une page. Je me souviens alors à la fois de la publicité d’un organisme de crédit et d’avoir vu la version en bronze des céramiques de Fontana, bronzes réalisés après sa mort, bien sûr. L’idée du magazine est de montrer que, pour ce qui est de l’art contemporain, la céramique n’est pas en reste... que l’on peut adorer Jeff Koons, Murakami et... Fabrice Hybert ! Ayant vu les réalisations de ce dernier dans les ateliers de la Manufacture de Sèvres, je ne peux croire qu’aucun mot de ces articles puisse faire avancer le débat — à moins que l’on réduise l’art à la bulle académique dont la finance spéculative engorge foires et musées d’aujourd’hui — comme si l’artiste, aujourd’hui, n’avait d’autre possibilité que celle du Disc Jockey : manipuler les signes du pop (bande dessinée, publicités associées au quotidien) et les signes de l’art (lieux d’expositions, prix à payer). Dire que la céramique vaut la peinture, vaut le graffiti, vaut la publicité, vaut la bande dessinée, n’est pas exactement le bon service à rendre à la céramique ! Il faudrait avant tout se demander ce qu’est la céramique en tant qu’art... Décloisonner n’est pas liquider.

J’aime bien Elsa Sahal dans la postérité surréaliste ; j’aime énormément Johan Creten, dont les œuvres ne pourraient, en aucun cas, être traduites dans un autre matériau, mais pourquoi Lavier refait-il en porcelaine (2006) le canapé « La Boca » de Salvador Dali (1937) ? Au nom de quel critère le mettre sur le même plan que le travail de Kristin McKirdy, céramiste ?

C’est-à-dire que ce qui aurait pu passer pour un nouveau regard sur la céramique n’est finalement que la réitération d’une conception de l’art comme pastiche de la société de consommation. Warhol, à son époque, en a donné les codes : résoudre le paradoxe gagner sa vie dans la publicité / exposer ses œuvres dans les galeries mondaines. Comme le remarquait Hector Obalk, en 1990, dans son « Andy Warhol n’est pas  un grand artiste », dire que tous les rapports humains sont affaire d’argent ET de spectacle ne peut subir aucune contradiction. Or, vingt ans après, on peut faire la constatation que c’est alors la Publicité — parce qu’elle régit de façon créative les rapports commerciaux — qui est devenue l’art majeur. Par suite, céramique, peinture, etc., n’en seront que les arts appliqués. Le faire n’est qu’enjeu de marché, c’est-à-dire de commandes. L’artiste est « concepteur-rédacteur » ; le galeriste en est son metteur en scène, le commissaire d’exposition, son vérificateur.

On s’étonne alors qu’un magazine comme Artpress, qui longtemps défendit un art d’avant-garde, soit si convaincu par la mondialisation libérale (avec ce qu’il faut de traditionalisme new-yorkais — je rêve !— et d’ouverture sur l’ethnique, au nom sans doute du commerce équitable...

Pour conclure, nous avons là un discours politique qui comme l’a fait celui du Réalisme Socialiste, veut démontrer que les valeurs prônées dans une certaine société suscitent l’adhésion du plus grand nombre — puisque ça marche ! —, comme si l’art pouvait recouvrir exactement la question du ici-et-maintenant, échapper à tout souci de transcendance.

Ce discours, alors, répond malgré lui à une question fondamentale : qu’est-ce que notre temps ? mais, parce qu’il est tautologique, c’est un discours sans avenir.

J’ai développé par ailleurs la première spécificité de la Céramique en tant qu’art, qui justifie sa place entre la Peinture et la Sculpture, le fait qu’elle ait à la fois un dedans et un dehors — que l’art est de justifier ce passage du dedans au dehors. (cf. Essai sur la céramique japonaise, 2001, pour ce qui est de la fonction des vases Jômon, contenir le feu, et, dans Êtes-vous raku ?, 2006, les développements sur la notion de seuil).

Il m’apparaît aujourd’hui un autre élément, à peine esquissé dans « Paysages déposés » (in Paysage et Ornement, 2009, sous la direction de B. Saint Girons et D. Laroque). La production de céramiques est liée par définition à un lieu. De ce lieu, le Land-art serait le cru et la céramique le cuit : la terre, matière du paysage, en effet, mais aussi le bois et même le gaz ou l’électricité dans la mesure où l’air et l’humidité ne sont pas les mêmes en tout lieu. On sait que le processus de cuisson doit tout aux phases d’oxydation et de réduction et que le temps qu’il fait agit sur celles-ci... Au Japon, on assimile ainsi traditionnellement la production d’un lieu (la ville / la terre de Bizen)  et d’un style (pour le « style Bizen », la cuisson au bois en four-trou anagama, sans émaillage préalable).

Demandons-nous alors comment la céramique espace... Car, si le paysage est espace sous nos yeux (mais l’erre du lièvre en est un autre, la profondeur géologique autre encore, etc.), il se peut et il se doit que nous autres, humains qui avons cet espace en partage, comprenons ce que telle œuvre a, à la fois, de tellurique et aérien et de fragile et aléatoire. La pierre du sculpteur, en effet, donne le tellurique mais non la fragilité. Le pinceau du peintre ou du calligraphe procède de l’aérien, mais pour un matériau qui s’oublie...

Pourvu que l’objet réponde à une fonction et un besoin, il peut en effet être produit en séries : nous dirons alors qu’il n’espace pas. Mais, puisque, de nos jours,  potier n’est plus un métier, l’objet produit est alors une œuvre, forcément ! Bonne ou mauvaise (il faudra en décider), mais une œuvre !

Et le potier, alors, d’entrer en transes et de se poser la question de savoir ce qu’est l’art... Or, Heidegger soutient que la peinture n’a pas à se demander ce qu’est la peinture — le sculpteur ne peut que faire des sculptures pour savoir ce qu’est la sculpture. En tant qu’art, la céramique n’aurait pas à se poser de questions... Objectons que, de Léonard de Vinci à Cézanne et Matisse, nombreux sont les grands artistes qui ne purent s’empêcher de se faire écrivains ! Notre époque alla même jusqu’à voir une revue, Peinture, qui, dans les années 70, publiait des numéros de trois à quatre cents pages sans aucune illustration... Retenons cependant l’argument de Heidegger : seule la poésie... dit-il. La poésie, en effet, puisqu’elle est est langage. « Ou bien la philosophie » !

Il s’agira donc, désormais, de parler de la céramique en poésie (et en philosophie).

Prenons la question à l’envers : si elle n’espace pas, il n’y a pas d’œuvre. Ce que l’on entendait par « art appliqué » n’a donc pas de sens. Une œuvre céramique ne peut, en aucun cas, ni traduire les inventions du grand art, ni être traduite dans un autre matériau (scandale des terres cuites de Fontana coulées en bronze par ses héritiers). La céramique en tant qu’art n’a surtout pas d’avenir dans le monde des Museum-goods !

La céramique n’a pas vocation monumentale non plus. Suffisamment intime pour être maniée, elle s’éprouve, comme le livre se feuillette. C’est-à-dire que le lieu dont elle vient importe moins que le lieu où elle est et, finalement, le lieu qu’elle est. Et tel est bien le destin de l’œuvre d’art qu’un corps s’approprie, fait sienne, aménage. Le paysage naturel auquel je pensais, revoyant le four, dont l’alandier reproduit et accélère la création du monde naturel, est ainsi devenu, en tout et en partie, paysage intérieur où l’un vit et partage avec l’autre. L’œuvre est ainsi elle-même le lieu, parce qu’elle retient.

La cruche alors, en tant que vase retient le liquide :

« Le vide est dans le récipient ce qui contient. Le vide, ce qui dans la cruche n’est rien, voilà ce qu’est la cruche en tant qu’elle est un vase, un contenant. » (Heidegger « La Chose », in Essais et Conférences)

Or, même ébréchée ou percée, il se peut que la cruche nous retienne autrement : sa présence nous arrête, à tel point qu’on lui fait, par exemple, un musée ! Le lieu de la cruche déborde alors l’atelier de l’artisan :

« ...Mais si le contenant réside dans le vide de la cruche, alors le potier, qui sur son tour façonne les flancs et le fond, ne fabrique pas à proprement parler la cruche. Il donne seulement forme à l’argile. Que dis-je ? Il donne forme au vide. » (ibid.)

Par suite, l’usage induit par la cruche demande à prendre tout son sens : contenir veut dire verser ;  verser appelle l’averse et la rosée ; on en réfère au ciel et à la source ; d’où la formule : « Dans l’être de la cruche terre et ciel demeurent présents. »

Pour illustrer ces propos du philosophe, il suffit d’évoquer la Semeuse, Marianne allégorique de la France rurale du XIXe siècle ; dire la possibilité de versement du sac ou du boisseau est dire d’une image les semailles et les moissons.

Ce n’est donc pas l’usage en soi qui est trivial mais la parcellisation de la production, le déni de l’être-au-monde — quand la cruche ne dit plus rien du Ductile qui se dresse, contient pour répandre, quand l’objet réel ne nous permet plus de nous abstraire.

Aux origines de la céramique, un curieux objet apparaît fréquemment, en Chine, puis au Japon, vers l’an 300 avant J.-C., une outre à goulot imitée d’un récipient de cuir par sa forme enflée et polie, par ses couleurs d’émail de cendres naturelles. Apparemment, il s’est agi de faire en terre cuite l’outre de peau transportée par les cavaliers pour se désaltérer — comme si, au moment historique de leur sédentarisation, c’est-à-dire de la naissance de la poterie, des peuples voulaient se souvenir de leur vie nomade et dire que celle-ci appartient maintenant au passé. Image d’une métis guerrière devenue paysanne. Objet votif, en quelque sorte, qu’aucune fonction n’épuise.

Cette chose pleine et profonde que nous appelons aujourd’hui œuvre d’art serait alors là non pas comme la reproduction indifférente (interchangeable) d’un ailleurs dans le monde mais comme le lieu habité d’une présence que l’on devine et qui nous déborde à la fois, inépuisable, donc. Image non seulement d’une société mais encore d’un rapport au monde.

Il s’agit, encore, de la vérité du matériau. Pourquoi les auteurs d’Artpress ne se posent-ils pas la question essentielle : « Pourquoi cette œuvre est-elle en céramique et non en résine... ou en mie de pain ? » S’ils se posaient la question, ils verraient immédiatement la vérité de Bob Armeson, de Voulkos et d’autres céramistes ; ils verraient la supercherie de Hybert, ou Gouéry, par exemple. Oui, ça m’amuserait beaucoup de voir les productions de Koons en sucre filé, mais la jouissance serait brève : Koons n’est pas un pâtissier.

En soi, que l’œuvre d’art soit objet de commerce — qu’elle soit jugée, à l’aune des métaux précieux, plus stable que les espèces monétaires contre lesquelles on l’échange —, me semble tout à fait sain ; c’est penser que quelque chose transcende la valeur actuelle consommable. Mais encore faudrait-il que la valeur soit pérenne ! Sinon, ce que l’on prend pour un diamant dans le monde d’aujourd’hui bientôt se révèlera être du charbon...

 Addendum

Traditionnellement la céramique a été rejetée hors le domaine de l'art parce qu'elle était utilitaire. Au mieux, "l'objet d'art" valait par la préciosité de ses matériaux et le temps de travail nécessaire à sa réalisation. Or, puisque plus personne n'utilise de poteries, les potiers se sont raréfiés et seuls ceux qui pouvaient se prétendre artistes se sont maintenus sur un marché qui n'avait plus rien de local.Le paradoxe est que, au même moment, l'évolution socio-économique consacrait le capitalisme, c'est-à-dire l'utilitarisme! Dés lors, l'opposition au capitalisme triomphant peut se faire à partir de deux positions: l'une revendiquant la communauté villageoise pré-capitaliste (une position ancrée politiquement à droite); l'autre au nom d'une forme de pensée originale que l'on pourrait dire "écologiste" à condition de pouvoir échapper à l'éco-business. André Gorz a remarqué que la production des armes était la clef du capitalisme d'aujourd'hui: on fabrique et on perfectionne des choses (des marchandises) qui "ne servent à rien"... Il s'ensuit que l'on devrait appliquer le même schéma critique à l'œuvre d'art (laquelle, qu'on le veuille ou non sans distinguo de matériau, céramique, verre, fer-blanc, etc.): instrument de pouvoir (avant tout symbolique), produit sur le mode de la concurrence à outrance avec une exigence de  renouvellement permanent. L'œuvre d'art, comme le bazooka, est destinée à devenir obsolète, ringarde.

On en est là.

Heureusement, on peut encore dire que la montre Rollex (la berline allemande, le collier de perles, que sais-je?...) ne signifie pas la réussite de celui qui la porte. Mais est-on prêt à rayer purement et simplement "la réussite"?  Dans les motivations de l'artiste, quelle part a la réussite sociale? Le discours dominant dit que c'est la seule et le capitaine d'industrie est heureux de consacrer un ou plusieurs artistes comme lui ! Sont-ils d'accord? Sinon, alors, on pourra réfléchir sur LA céramique (le matériau) en prenant des noms propres pour exemples, certes!, mais non pas réfléchir à partir des noms propres. A ce moment-là on pourra s'intéresser à l'imaginaire du matériau, voir ce qu'il a en propre et d'irremplaçable (ce qui ne peut être "traduit" en résine, etc.) et remarquer comment style et savoir-faire sont nécessairement liés — comment l'intervention du tâcheron prive l'artiste de... bonheur.

Andoche Praudel, janvier 2014

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