La conférence de Bernard Courcoul, la céramique actuelle et l'art contemporain

11 mars 2014

 
La céramique actuelle et l’art contemporain.
 
En formulant ainsi le titre de cette conférence, j’assume qu’il peut tout autant suggérer, l’un ou l’autre de ces deux liens : ou bien un lien naturel incontesté entre les deux termes ou bien une opposition. Il peut aussi suggérer des liens complexes et nuancés.
 
Ce serait tout simple si l’on pouvait constater que les relations entre les deux « protagonistes », la céramique actuelle et l’art contemporain sont tout naturellement accordées, mais je sais, comme vous sans doute, que ce n’est pas aussi simple, que des tensions existent, plus ou moins médiatisées et qu’il est légitime de prendre en compte les questionnements insistants qui agitent depuis déjà bien des années et les céramistes (parfois) et les amateurs (souvent et de façon divergente !)

Ces questionnements n’auraient que peu d’intérêt s’ils n’étaient que la résurgence des vieux débats sémantiques récurrents sur l’art, l’artisanat, les arts décoratifs, les arts majeurs ou mineurs.
 
  • Ø Impossible de refuser ces questionnements en arguant que la céramique actuelle qui est le résultat d’une évolution historique, a donné suffisamment de gages à l’exigence de « contemporanéité » pour faire que la céramique ne puisse plus désormais souffrir de l’ostracisme « primaire » qui la rejetait précédemment hors du champ artistique.
 
  • Ø L’intérêt du débat « céramique actuelle / art contemporain » c’est qu’il peut avoir pour effet d’apporter des éclairages sur l’identité de la céramique et aussi une meilleure connaissance mutuelle des céramistes et de leurs interlocuteurs.
 
Quelques préliminaires.
 
Pour commencer cette réflexion, je prends en point de mire quelques observations préliminaires :
 
- Dans chaque époque de l’histoire de l’art, les valeurs qui sous-tendent les expressions artistiques du temps présent se présentent comme nouvelles, accomplissent une nouveauté et un progrès par rapport aux précédentes et renouvellent ainsi l’art et la culture. De ce fait, le désir d’être de son temps, ou d’avant-garde a  toujours existé, de même que les querelles des « anciens » et des « modernes », de l’académisme et du « progrès ». Du fait des leçons de l’histoire de l’art, cette tension est inévitable, normale et nécessaire.
Dans la céramique, en particulier, ces phénomènes se manifestent évidemment.
 
-         La prétention des céramistes à être explicitement contemporains n’a pas toujours été formulée avec force mais elle a tendance à se généraliser et, dans le même temps, elle doit faire face à la montée en puissance d’une défiance de certaines institutions publiques, de critiques d’art, d’acteurs du marché de l’art  à l’égard de la céramique au prétexte qu’elle se serait pas assez détachée de ses origines d’art populaire et de sa constante dépendance à l’égard des techniques et des fonctionnalités utilitaires ou décoratives.
 
-         À défaut d’un rejet sommaire, ces « chantres » et tenants de l’art contemporain exercent sur la céramique une pression insistante sous la forme d’un ensemble de considérations et de conditions à satisfaire pour qu’elle puisse pallier un défaut « natif » persistant…
 
 Face à cette pression et à ces questionnements, on pourrait rester indifférent mais il est plus judicieux d’entrer dans une réflexion active soit que l’on se montre plutôt complaisant et complice, soit, à l’opposé, que l’on choisisse plutôt une posture défensive. Quoi qu’il en soit, les enjeux du débat sont forcément culturels mais aussi matériels et finalement financiers puisque le marché de l’art contemporain est immédiatement en prise avec eux.
 
 
Mon approche personnelle.
C’est bien celle d’un céramiste, pas d’un historien ni d’un critique d’art.
Dans ma réflexion, pas de propos péremptoires,
simplement la réflexion et le point de vue d’un acteur autodidacte qui a eu une expérience limitée, individuelle, confrontable et contestable.
C’est aussi le point de vue d’un observateur de l’évolution des arts et de la céramique, qui, depuis plus de 40 ans, a pris « en pleine face » les évolutions du monde de la céramique, qui en a fait « sa » culture, avec modestie, si ce n’est avec humilité, n’ayant ni position acquise, ni esprit de chapelle, ni compte à régler.  
De cette position d’acteur et d’observateur, est née l’initiative de création et la fonction de commissaire des 4 biennales de céramique du Grand-Pressigny (48 invités et rédaction d’autant de monographies).
De surcroît,- est-ce une remarque accessoire ?-  il s’agit de l’expérience de quelqu’un que la vie a conduit à faire aussi autre chose (un engagement civique…), c'est-à-dire de quelqu’un dont l’expérience artistique a toujours été confrontée à d’autres univers de valeurs et d’engagements, l’obligeant à ne valider de sa « culture artistique » que ce qui l’a construit, car ne s’agissant que d’expérience nécessaire et vitale !
 
Organisation de mon propos.
1 - Comment l’évolution de la céramique depuis quelques décennies a introduit et permet de comprendre les relations tendues entre céramique et art contemporain et quelle est la nature des ces tensions.
2 – Comment la pratique céramique peut fournir des bases de réflexion sur l’identité de la céramique qui lui permettent de dépasser le débat polémique avec certains tenants de l’art contemporain.
 
1ère partie : Comment cela a-t-il pu arriver ?
 
Comment caractériser la situation de la céramique ?
 
Dans un environnement de continuelle confrontation avec les courants artistiques et les débats qui agitent le monde de l’art contemporain, la situation de la céramique actuelle se caractérise par une extrême diversité et une extrême effervescence dans un climat de constante évolution.
Dans ce champ immense, chaque céramiste cherche sa voie et chaque amateur fait « son miel ».
 
Comment s’est mis en place le renouveau de la céramique, que nous connaissons actuellement ?
 
Par appropriation :
 
- de l’effet prolongé du « japonisme » de la fin 19ème S. et début 20ième avec Carriès,          Chaplet, Decoeur…qui est le véritable point de départ (hors Palissy) de la céramique d’auteurs moderne.
 
-          de l’effet « Mingei », redécouverte et réappropriation des valeurs artistiques présentes dans l’art populaire («  l’artiste inconnu » de Soetsu Yanagi), du « retour  à la terre », en Europe,  après la guerre 39/45 vers les lieux de production traditionnelle… dans un mouvement de rencontre entre l’Occident et l’Extrême Orient. Il faut citer ici des personnalités comme Leach, Hamada, Kawaï, …
 
-         de l’effet d’appropriation, dans cette mouvance, des fondamentaux des âges d’or de la céramique, des Song de Chine,  de la céramique du Japon…
 
-         de l’effet de l’internationalisation de la culture céramique, par exemple la diffusion « mondiale » du raku californien…,
-         de l’effet du croisement progressif des « bases historiques»  et « populaires » avec l’influence de personnalités d’artistes en vue (Picasso..) et de l’assimilation des valeurs des autres arts introduisant des esthétiques nouvelles (Deblander, Mohy, Lerat, Hans Coper, etc.)
 
-         - de l’effet multiplicateur de l’enseignement dans les écoles d’art (maîtres : Fouquet, Lerat, Lambercy) et de leurs élèves : Dejonghe, Champy…)
 
-         del’effet du rôle de référents et d’initiateurs… (Lerat pour la sculpture, Deblander pour les formes, de Montmollin pour l’émail, , Biagini, pour le raku californien, Camille Virot pour le raku japonais et la céramique africaine…
 
-         de l’effet d’entraînement des nouvelles maîtrises technologiques, du fait de céramistes individuels notamment dans le domaine des glaçures ouvrant la voie à un langage de « matière céramique  (de Montmollin, Girel, etc.) ou de l’assimilation de technologies qui étaient plutôt le champ réservé des industriels, comme le coulage (Bodil Manz) (céramiques sophistiquées, très légères…)
 
-          de l’effet de la  rencontre avec les autres arts, introduisant un basculement vers des problématiques semblables à celles des arts plastiques, notamment avec la sculpture, par la pratique du modelage, avec la peinture par l’usage de la couleur, du geste libre, du « matiérisme » céramique …
 
-          du rôle des revues d’art et des publications de maisons d’édition (L’atelier des Métiers d’art,  la RCV, Argile., revues étrangères….),
 
-          de l’effet dela réflexion et des écrits des critiques,
 
-          de l’effet d’une réflexion portée par les céramistes eux-mêmes sur leur propre art, sous diverses formes et par divers canaux…
 
-         de l’effet de la commande publique,
 
-         de l’effet d’entraînement apporté par les manifestations céramiques (biennales, rencontres), l’essor des galeries, l’augmentation du nombre d’amateurs et collectionneurs,
 
Pendant ce temps, dans une dynamique évidente, le visage traditionnel de la céramique avec ses définitions fonctionnelles s’est estompé au profit d’une approche purement esthétiquedans des langages diversifiés, l’émergence d’un nouveau « langage » n’effaçant pas le précédent.
 
Tout cela  a  modifié et modifie l’environnement des céramistes, créant les éléments d’une culture céramique aussi dense dans ses manifestations actuelles  que dans ses racines historiques.
 
Pour une plus complète compréhension de cette évolution, et pour introduire les questionnements et le débat signalé au début, il faut aussi tenter de caractériser les « moteurs » généralement en œuvre dans la pratique des arts qui ont favorisé pour la céramique les mutations jusqu’aux manifestations nouvelles « contemporaines ».
 
Je caractérise rapidement ces « moteurs » :
 
- l’irruption du « moi » qui devient comme source et objet de l’art, comme expression, comme libération et catharsis. L’assujettissement au moi rejette les valeurs en soi, qu’il s’agisse de valeurs universelles et impersonnelles non dépendantes de chaque existence et qui se confondent apparemment aux valeurs de tradition de bon goût, de beauté qui s’imposaient à l’artiste, au risque de l’académisme. Les critères d’invention, de liberté, d’expression, tirent leur essor de cette irruption du « moi »…
 
- le melting pot des formes, sous la pression d’une liberté recherchée pour elle-même contestant et rejetant les formes d’avant, effet de la prédominance de l’expression de soi, privilégiant la nouveauté, l’étrangeté). Quand elle est reliée à une forte et évidente personnalité (Peter Voulkos), la nouveauté d’une forme ou bien un certain état d’esprit entraîne des émules et provoque une « mode »…
 
- l’interférence avec le discours « explicatif » du critique, l’artiste devenant lui-même son propre critique, ouvrant la voie à l’association œuvre/discours et à l’intellectualisation. Apparition de l’art conceptuel.
 
- l’invasion dans le discours de l’approche « sociétale » de l’art, approche qui rejoint et renforce la dimension conceptuelle en lui ouvrant un champ fécond de développement… Dans cette approche sociétale, s’impose la référence à une société « en crise » ...celle-ci devenant une grille naturelle de lecture des œuvres…
 
  • Ø Inévitablement, ces « moteurs » incitateurs de contemporanéité, influencent les céramistes qui se tiennent forcément à l’unisson des modes de pensée de leurs contemporains.
  • Ø On aurait pu penser que les nouvelles manifestations réalisées, en céramique dans cette mouvance ne susciteraient ou n’auraient pas dû susciter plus d’interrogations, de débats ou de conflits que dans les autres arts.
  • Ø En réalité, dans le champ de la céramique, ces changements ont créé des interrogations et des débats sur l’identité même de la céramique.  
  • Ø La dramatisation de ceux-ci est due au fait qu’ils sont portés par les institutions, qu’elles soient d’éducation artistique (Beaux arts…), instances officielles,  médias, ou marchands, et en particulier par quelques virulents contempteurs. Ensemble ils véhiculent des exigences de changements de contenus, d’attitudes et de finalités, au nom d’une contemporanéité à laquelle la soumission doit être sans nuance et sans appel.
 
 
Comment donc se caractériserait une céramique nouvelle qui satisferait à ces exigences ?
Principalement par :
-         une « révolution » des formes servant exclusivement l’expression du moi ou une explicitation sociétale ou intellectuelle, formes toujoursnouvelles, voire « informes », mais allusives, privilégiant un caractère intrigant, subversif, en « rompant les amarres » d’avec toutes formes « données » ou « reçues », de la « culture », de la nature….
-         un renoncement à une vision esthétique convenue, à une « belle matière », surtout si elle est sacralisée, magnifiée par une mémoire céramique…
-          la rupture, la transgression de la référence au champ céramique comme se suffisant à lui-même, au profit de croisements avec d’autres formes d’art, dans le cadre d’installations ou de performances avec désacralisation des esthétiques idéalisées (beauté), et des savoir-faire..
-         le choix d’une vision syncrétique de l’art qui ne conserverait la céramique que comme medium « relativisé », en prônant même sa « disparition » en tant que tel…
  • Ø Ces pressions sur la céramique ont entraîné progressivement un débat « intra muros » chez ceux des céramistes qui veulent bien les entendre, qui veulent bien en faire des valeurs dont l’usage fera d’eux une partie du « petit nombre » d’élus de la céramique contemporaine… Dans leurs travaux, les pressions qu’ils font leurs deviennent à leur insu, ou le sachant, des schèmes contraignants.
 
  • Ø Dans la pratique céramique, il n’en découle pas un véritable mouvement artistique univoque, mais une connotation de radicalité qui donne le ton à nombre de manifestations au diapason de ces orientations nouvelles, promues comme ayant l’exclusivité du caractère d’art contemporain. En retour, dans le public, la réaction est ou bien l’adhésion enthousiaste, ou bien le rejet indigné.
 
  • Ø Le problème est que cette radicalité serait désormais la condition de la reconnaissance institutionnelle et de l’ouverture au marché de l’art.  Inversement tout ce qui demeure « classique »  en serait a priori rejeté sous prétexte de désuétude ou d’insignifiance… Il n’existerait ainsi qu’une seule voie royale pour tous les arts rassemblant toutes les manifestations expressives, toutes les formes, tous les médiums, confondus, indifférenciés, au sein desquels la céramique, acceptant de ne plus se revendiquer comme une forme d’art spécifique, viendrait se glisser.
 
  • Ø L’inquiétude c’est qu’à la fine pointe de ce mouvement, de cette sorte de combat pour l’exclusivité « contemporaine », se fait jour une remise en question de la « culture » céramique spécifique jusqu’à la rejeter au prétexte qu’elle entraverait, par le poids de sa « mémoire », de ses exigences d’apprentissage, de  technologie, de savoir-faire, son culte d’une « matière » spécifique, la faisabilité même d’une entrée « corps et âme » dans les problématiques de l’art contemporain telles qu’elles sont enseignées, diffusées, favorisées, vérifiées et « récompensées » par le marché de l’art contemporain.
 
  • Au final, même si beaucoup de néophytes s’engagent dans ces voies nouvelles, puisque c’est la « consécration »  institutionnelle, notamment le marché, qui opère la reconnaissance, il ne peut n’ y avoir que peu d’élus sur cet étroit sommet que les céramistes « modernes » aspirant, soupirant et combattant, cherchent à conquérir.
 
  • Ø Que voilà bien, sous un débat qui aurait pu n’être qu’un clivage sémantique, l’amorce d’un bouleversement culturel et pas seulement pratique, par lequel tous les céramistes, même s’ils ne choisissent pas de s’y soumettre, sont concernés.
 
 
 
2ème partie : Y aurait-il une fatalité à cette évolution 
selon laquelle la céramique contemporaine n’aurait d’autre voie pour se fondre dans les arts plastiques contemporains, que de s’aligner sur un ensemble d’injonctions, quitte à renoncer à ses spécificités et sa culture ?
 
1 - D’abord, quelle est la réalité de ce mouvement induit par ce climat de pressions exercé sur la céramique actuelle ?
 
Chacun y répond à sa façon, soit qu’il en accepte les présupposés soit qu’il se sente « offensé » par les manifestations nouvelles qu’elles suscitent.
 
  • Il      n’est pas douteux que ce mouvement existe bel et bien mais qu’il coexiste avec      d’autres courants qu’on ne peut rejeter sommairement, dans un champ très      diversifié, où se manifestent des oeuvres qu’on peut voir avec bonheur,      découvrir et admirer.
 
  • La      réalité de la céramique actuelle est féconde, riche, souvent enthousiasmante,      faisant face, sans complexe, à une céramique qui aurait la prétention      d’avoir l’exclusivité de la céramique contemporaine, dont le caractère      conformiste est inévitable.
 
 
  • Cette      fécondité de la céramique se manifeste dans une grande variété de langages céramiques,      à multiples facettes, aux points de rencontres de fortes individualités et      des empreintes liées à la culture céramique, à l’émergence de nouvelles      inventions et émotions, auxquels on ne peut nier en bloc le caractère      contemporain.
 
Ces langages céramiques sont divers et occupent un large faisceau
- d’abord au niveau des formes, depuis un minimalisme formel, un certain constructivisme, jusqu’à un baroque assumé. Ce champ est évidemment couvert par un grand nombre de céramistes ayant rejoint, de façon variée, le champ de ce qu’il convient, même improprement, la sculpture céramique.
- également, au niveau des « portages» technologiques, avec des investigations souvent très complexes et exigeantes dans leur mise en œuvre (Arnold Annen), alors que, dans le même temps d’autres choisissent de poursuivre des pratiques adoptées des grandes traditions (cuissons anagama).
 
D’une façon générale, il apparaît que la force des céramistes est d’emprunter diversement les « canaux » ouverts par les « moteurs » de l’art contemporain sans en être aliénés par un excès d’usage.
 
Certains même peuvent sembler en demeurer éloignés mais n’en sont pas moins forts et reconnus.
C’est vrai en particulier
  • pour les céramistes qui oeuvrent dans la poursuite de l’exploration de valeurs esthétiques nourries par la culture céramique. C’est le cas entre autres des « émailleurs ». C’est ainsi que de fortes personnalités de la céramique japonaise sont toujours reliées à une tradition par laquelle ils ne sont nullement limités et qu’ils font revivre en toute liberté : Osamu Susuki, Tsujimura…De même, avec les valeurs du « wabi », qu’on retrouve notamment dans la pérennisation de la cérémonie du thé et dans la création de bols chawan qui est devenue une pratique éprouvée et symptomatique d’une appartenance à la « famille » universelle de la céramique de « sens »…
  • pour les céramistes qui soutiennent un langage céramique fort avec une céramique tournée : Jean Girel, Marc Uzan et bien d’autres...
  • Les céramistes qui ont investi un champ céramique traditionnel particulier et en font la manifestation d’un langage propre : JF Gérard en poterie vernissée, JP Azaïs en vernis d’engobe, …
  • Les nombreux céramistes qui établissent leur personnalité propre directement dans le champ de la tradition du raku (Jim Romberg, par exemple)
2 - Mais comment faudrait-il « résister » particulièrement à une vision réductrice de la céramique ?
 
Sur quelques points, en particulier, par exemple :
  • En choisissant de refuser la suprématie du discours sur l’œuvre.
  • En refusant de se soumettre à une vision réductrice de la qualité de l’œuvre elle-même, en rejetant l’informe, le « laid », au prétexte qu’ils seraient dictés par une vision sociétale.
  • En préférant l’imperfection à l’inachevé, la modestie à la prétention.
  • En refusant la vision réductrice de la céramique à un médium sans autre valeur que d’être mêlé indistinctement avec les autres médiums dans une vision syncrétique d’un art sans mémoire.
 
 Et surtout,
en fondant une vision artistique en relation avec des choix anthropologiques, culturels et philosophiques, en prenant comme appui l’expérience même du céramiste, sa sensibilité, ses motivations, ses préoccupations qui sont en relation directe, non pas d’abord, avec des préoccupations « conceptuelles » ou « sociétales », mais avec des préoccupations d’abord  intimes, en relation avec l’œuvre qu’il produit.
 
Comment ?
 
- Tout le combat du céramiste et tout son travail sont ordonnés à des fins qui le transcendent notablement. Son art est une médiation, mais pour quelle finalité ?
 
- Si toute œuvre peut avoir, au passage, une fonction de catharsis, devenant le prétexte à une expression manifeste, dans une volonté à peine feinte de séduire, cela gagne à ne pas être son véritable but.
 
- Pour en approcher, il faut en venir justement au cœur de la « culture » céramique,
de la culture céramique
qui force à une relation en complicité et en symbiose avec la Nature généreuse et accueillante mais toujours mystérieuse et inconnue,
de la culture céramique
qui est, nécessairement, un affrontement avec une pratique constamment globale, assise sur des connaissances et des pratiques techniques difficiles à maîtriser et à mettre en œuvre de bout en bout, parmi lesquelles l’épreuve incontournable du feu, médiateur de l’accomplissement d’une œuvre à chaque instant menacée. files/les_images/documentation/textes generaux/conference Courcoul/IMG_2395 [640x480].JPG
 
 
Finalement, l’œuvre individuelle du céramiste,
exige un engagement total,
provoquant, plutôt qu’un orgueil prométhéen,
une désappropriation du moi, une humilité totale,
dans le moment de l’emprise du travail,
pour atteindre, au fond…, au terme…,
une expérience sans cesse incertaine et périlleuse, avant que d’être exaltante,
de  découverte, de connaissance de soi intime…
 
et, c’est ainsi que naturellement, cette culture céramique s’allie à la recherche et à la réappropriation de valeurs esthétiques universelles et intemporelles.
 
Pour finir, je dirai volontiers que  le céramiste
engagé par son œuvre
dans une quête de réalisation intime
peut ne pas se sentir véritablement concerné
par un débat de société dans le domaine de l’art,
sous cet angle qui nous concerne
des rapports entre la céramique actuelle et l’art contemporain,
dont les enjeux ne se situent pas
à un niveau essentiel pour lui.
 
Ce qui justifie l’œuvre du céramiste,
c’est bien sûr comment elle est reçue,
ce qui est forcément sociétal et culturel,
mais c’est d’abord son œuvre elle-même,
dans sa réalité propre,
dans sa capacité d’être
elle aussi,
en écho à l’être de l’artiste,
certes,
mais faisant, désormais, son chemin,
seule…
dans le temps et dans la société.
 
Bernard Courcoul, Chambon ce 6 mars 2014
 
 
 
 

Le commentaire de Pierre Soula

Salut fraternel à monsieur Bernard Courcoul,

L’au-delà n’est pas que la vague promesse des religions, il est le don effectif des artistes. A quel moment, et à quel moment seul, sentons-nous le prosaïsme de nos vies tout à coup tangent en un point à des transcendances ? Devant les œuvres  d’art. C’est là  leurs définitions et leurs fonctions.

Cette fonction est un échange, admirer c’est partager et même con-fondre . L’œuvre d’art est le vecteur  (jamais stabilisé..) de cette fraternité de l’intime.

« Comprendre c’est égaler » disait Raphaël mais dans le cas des œuvres d’art qu’est-ce qu’égaler ? Est-ce ressentir à parité la grâce d’un moment de saisie du réel plus total, tout à coup unifié et définitif ? Aucun langage ne peut en rendre compte, «  L’ineffable »en est le constat.

La fraternité de l’intime ressentie devant une œuvre d’art, la rationalité la tourne dans tous les sens et s’épuise, mais sa communicabilité est pourtant la matière de l’histoire de l »art ..

L’art céramique est plus exposé encore car il se dégage de l’utilitaire et s’y combine ( Les contenants de l’antiquité, les plats d’Ysnik,  les bols de l’Orient ..tous fleurons de nos musées ..) il doit, plus qu’un autre support, con-fondre la terre et le ciel !

Bon courage messieurs les critiques ..

Pierre Soula, le 13 mars 2014